La méridienne

Le blog de Mona Chollet

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30 juillet 2021

« Parenthèse » fertile

Véga, juillet 2021

On va le dire comme ça : 2020 n’a pas été une année particulièrement riche en heureuses surprises et en perspectives réjouissantes. Mais il y en a tout de même eu quelques-unes, et, pour moi, le message que j’ai reçu de Samantha Bailly en novembre en a définitivement fait partie. J’estimais cette autrice, que je n’avais jamais rencontrée, même si nous avions échangé quelques mails par le passé. J’admirais aussi le travail qu’elle accomplissait au sein de la Ligue des auteurs professionnels (dont elle a démissionné depuis) ou sa façon de parler de son métier (à l’époque, elle vivait uniquement de l’écriture) sur sa chaîne YouTube.

Et j’avais suivi sur Instagram le voyage qu’elle et son compagnon, Antoine Fesson, avaient entrepris à l’automne 2019, sans se douter que, l’année suivante, cela deviendrait impossible : un périple de trois mois à travers le Canada, les États-Unis et le Japon, qu’ils ont raconté en textes et en images dans un très beau livre, Parenthèse. La « parenthèse » était conçue pour déborder de partout, pour que les découvertes, les élargissements et les clarifications suscités par le voyage irriguent et infléchissent le cours de leurs vies.

En 2020, de retour en région parisienne, poussés par la crise du Covid-19 et, surtout, par la naissance prochaine de leur fils, qui les obligeait à réfléchir à ce qu’ils voulaient lui transmettre, ils ont décidé de faire le grand saut. Ils ont acquis un ancien terrain de camping dans la forêt d’Orléans, près de Chambon-la-Forêt. C’était la raison du message que Samantha m’envoyait. Ils s’apprêtaient à y créer un lieu de tourisme écologique, social et solidaire, lui aussi baptisé « Parenthèse » : huit tiny houses (auxquelles s’ajoutera bientôt un chalet accessible aux personnes à mobilité réduite) dont ils avaient dessiné les plans et qui seraient disséminées dans ce coin de forêt. J’ai accepté avec joie de faire partie des auteurs ou artistes visuels appelés à personnaliser chacun-e une tiny house, aux côtés de Samantha Bailly elle-même, de Jade Sequeval, de Clémence Dupont, d’Aurélie Jeannin, du graphiste de2s, d’Eugène Riousse, de Katerine Louineau et de Mathou (pour le chalet). J’ai choisi avec délectation la citation qui serait gravée dans le bois au-dessus du lit, les lampes, la théière et les livres qui figureraient (en plus des miens) dans la bibliothèque.

À son mail, Samantha avait joint les plans, dessins et documents qui détaillaient le projet, et qui m’ont émerveillée. Tout ça me semblait presque trop beau pour devenir réalité (une incrédulité probablement renforcée par le fait que j’ai moi-même le sens pratique d’une huître et que j’ai tendance à prendre mon cas pour une généralité). Mais c’était sous-estimer gravement la détermination, les ressources et l’énergie de ces deux-là. En quelques mois, ils ont trouvé des financements (un prêt, plus une campagne Ulule qui a cartonné), embauché plusieurs personnes, déblayé des tonnes et des tonnes de déchets, entrepris de régénérer la forêt et de créer un étang (?!!) avec l’aide de spécialistes en permaculture, planté des milliers d’arbres, commandé les tiny houses de leurs rêves à une entreprise vendéenne, noué des partenariats avec des artisans et des producteurs des environs, fignolé chaque détail.

Parenthèse a ouvert ses portes le 1er juillet dernier. Je n’ai pas pu me joindre à la réunion des artistes-auteurs peu avant l’ouverture, mais j’ai eu le bonheur d’aller passer deux jours un peu plus tard dans « ma » tiny house, baptisée Véga (chaque petite maison porte le nom d’une étoile ou d’un astre). Des retraites créatives de cinq jours sont déjà annoncées pour cet automne, et d’autres projets se bousculent dans les cartons.

En général, je m’abstiens de jouer les caravanes publicitaires pour quelque entreprise que ce soit. Je précise d’ailleurs que, si les artistes-auteurs ont été rétribués pour leur contribution, je n’ai aucun intérêt financier dans celle-ci ! Je suis aussi consciente qu’un séjour dans une tiny house n’est pas accessible à toutes les bourses, même si, ici, les tarifs sont aussi raisonnables que possible (de 90 à 139 euros en fonction de la période). Mais ce projet me touche énormément par l’idéalisme, la force et l’élan de confiance dans l’avenir dont il témoigne.

Et puis, il a pour moi un sens particulier. Dans Chez soi, en évoquant le récit qu’a livré le journaliste et essayiste Michael Pollan de la construction de sa cabane d’écrivain au fond de son jardin, dans le Connecticut, en 1997 [1], je soulignais la façon dont les idées, les récits, les pensées fixées sur la page ou l’écran inspirent des réalisations tout à fait tangibles, qui, à leur tour, susciteront d’autres idées, d’autres récits, et ainsi de suite, dans un va-et-vient infini entre l’abstrait et le concret. Pollan disait en effet que sa lecture de La Poétique de l’espace de Gaston Bachelard [2] avait été décisive pour l’aider à formuler son désir d’un « lieu à lui » — le sous-titre de son livre, « L’architecture de la rêverie », était d’ailleurs un hommage à Bachelard, également auteur de La Poétique de la rêverie. D’un livre écrit dans la France des années 1950 sont donc nés quarante ans plus tard un bureau-cabane au fond du Connecticut, mais aussi un autre livre, qui en raconte la genèse et qui a sans doute donné naissance à son tour à d’autres constructions.

De la même manière, Samantha Bailly et Antoine Fesson disent que Chez soi a été une source d’inspiration, à la fois pour entreprendre leur voyage et pour concevoir ce lieu dans la forêt. J’ai donc l’impression que mon livre, à son tour, en ayant contribué à faire surgir ces petites maisons en bois, s’inscrit dans cette longue chaîne d’alternances, ou de mariages, ou de jeux, entre le tangible et l’imaginaire, et rien ne pourrait me faire plus plaisir. D’autant plus que Parenthèse, justement, témoigne d’un souci égal du concret et de l’abstrait : belles et confortables, les tiny houses sont faites pour favoriser le ressourcement, la rêverie, la concentration ; les retraites créatives mêleront écriture, méditation, dessin, cuisine et jardinage...

J’espère très fort que ce lieu sera à la hauteur des rêves de ses créateurs. Mais, à vrai dire, ça m’a l’air plutôt bien parti.


Parenthèse est ouvert toute l’année, sauf en janvier. À suivre : le site Internet et le compte Instagram.


[1Michael Pollan, A Place of My Own. The Architecture of Daydreams, Dell Publishing, New York, 1997.

[2Qui figure bien sûr dans la bibliothèque de Véga.